Jeudi 15 janvier 2015. Elu joueur du siècle au Stade Lavallois en 2002, vainqueur de la coupe de France avec Rennes en 1971, le farfadet de Châteauneuf du Faou, Raymond Keruzoré, deux sélections en équipe de France, a enchanté toute une génération de Bretons, qui se sont reconnus dans son caractère bien trempé, son élégance et sa maestria dans un poste de meneur de jeu. Né pour et par le jeu, il restera à jamais une icône du football Breton, dans une époque romanesque du football, où le jeu paraissait parfois supérieur à l'enjeu. Mourir avec ses idées comme les Pays-Bas de Johan Cruyff en 1974 ou privilégier les choix coup de coeur comme la signature de Raymond Keruzoré à Laval (D2) en 1976. Portrait d'une légende façonnée à ses débuts par le directeur de l'école publique de Châteauneuf du Faou, Francis Garro.
Raymond Keruzoré, toujours la même passion du football au dernier tournoi Sebaco à Ergué-Gabéric.
Keruzoré, quatre syllabes à deux lettres, comme un certain Maradona. Le talent dès le berceau, un ton libertaire et humaniste dans chacune de ses prises de paroles ou de balles. Le gamin de Kergrist-Moëlou à Châteauneuf du Faou voue très tôt une passion totale pour le football. " Quand j'étais môme, la seule chose que je pensais à mon retour de l'école, c'était de poser le sac, d'oublier les devoirs et le goûter pour jouer au football avec les copains dans le quartier", remarque Raymond Keruzoré. Jusqu'à ses 16 ans, en 1965, Raymond Keruzoré restera fidèle à son club de ses débuts, l'US Châteauneuf du Faou, avec un éducateur, maître d'école, Francis Garro. " Nous étions une des premières équipes dans le coin où un éducateur nous donnait des cours de football, le jeudi après-midi. C'était un immense moment de bonheur. On avait toute la semaine pour parfaire nos gestes, appris sur ces séances". Raymond Kéruzoré est doué, très doué même. Son nom est dans les petits carnets de Edmond Lemaître (1959-1971), entraîneur au Stade Quimpérois. Le bac à la Tour d'Auvergne, le ballon à Kerhuel. " Je suis resté un an au Stade Quimpérois pour passer mon bac. Quimper ne proposait pas de continuité avec les études. J'avais le choix entre Brest ou Rennes. J'ai choisi le football et les études avec une licence de physique-chimie".
Le Stade Rennais de Réné Cédolin a trouvé son embellisseur du jeu au milieu de terrain, celui dont les extérieurs du pied émerveillaient les amoureux du jeu. Premier match en D1 à 19 ans face à Metz (0-3), premier but, à 22 ans, face au SCO Angers (1-0), et le passage dans la lumière avec la coupe de France en 1971. " Rennes, à cettte époque-là représentait le football Breton. Guingamp était en DSR, Brest en D2, Lorient en CFA. On jouait pour la Bretagne. J'étais un des plus jeunes au milieu d'un groupe expérimenté avec les André Guy, Marcel Aubour, Robert Rico de Concarneau, Louis Cardiet...". Le Breton connaît la gloire! Un an plus tard, il connaîtra l'exil sur la Canebière en signant à l'Olympique de Marseille, la période post-Marcel Leclerc. " J'avais demandé à Rennes une augmentation salariale. Je n'avais pas eu de réponse de la part des dirigeants. Quand je l'ai obtenu, j'ai compris qu'il avait déjà reçu le tiers de mon transfert de Marseille".
Comme nombre de cyclistes Bretons à forte renommée régionale, à cette époque, l'air éloigné de la Bretagne ne lui va pas. Le retour en grandes pompes dans son cher Stade Rennais se produit dès la saison prochaine. Or, il trouvera une seconde jeunesse, et sans doute ses plus belles années au Stade Lavallois de Michel Le Milinaire. Cet entraîneur a le compas dans l'oeil, il voit juste. Raymond Keruzoré gagne l'admiration de tout le stade Francis Le Basser. Même en D2, il trouve ce parfait cocon pour y tisser ses idées et son style de jeu inimitable et donc précieux. Michel Hidalgo, autre romantique du football, promu sélectionneur de l'équipe de France, à l'été 1976, apprécié forcément ce genre d'artiste funambule de la balle. Deux sélections en équipe de France, et la déception de ne pas être appelé pour le mondial Argentin en 1978, le premier depuis 12 ans pour une sélection Tricolore. " J'ai manqué le bon wagon plus jeune avec Georges Boulogne en 1973. Il ne m'a jamais appelé. C'est mon plus grand regret!"
A 30 ans, après deux saisons avec le maillot Tango en D1, le retour dans le Finistère à Brest, avec le souvenir peu glorieux et impérissable d'être la pire lanterne rouge d'un championnat de 1ère division en France en 1979/1980 avec 15 points. Un jeune président ambitieux pour sa ville et son club de Guingamp, un certain Noël Le Graët cerne tout le potentiel de Keruzoré au poste d'entraîneur-joueur. Il lui donne sa chance et ne sera pas déçu avec une stabilisation du club en D2 et un quart de finale épique face au FC Tours en 1983/1984. A ses côtés sur la période, un autre grand nom du football Breton, Jean Prouff. " Noël Le Graët est une personne à qui je dois beaucoup. Je me suis toujours très bien entendu et je l'estime énormément".
Je ne pouvais pas concevoir le métier d'entraîneur sans montrer aux joueurs
Le Stade Brestois revient à la barre. Un an seulement car la relation entraîneur/président ne passe pas. " J'ai eu du mal à m'entendre avec François Yvinec. On avait deux visions opposées pour le Stade Brestois". L'appel du coeur est toujours le plus fort. Lié aux couleurs rouges et noires dès son enfance, avec Châteauneuf du Faou, tout comme du Stade Rennais, il revient à Rennes, en D2. Cinq ans, une remontée du club en D1, suivi d'un licenciement pour mauvais résultat, la saison suivante. Après un dépôt de bilan du club de Tours, Raymond Keruzoré boucle la boucle à Quimper, en national. " C'est dur pour le Sud-Finistère. Il n'y a encore pas si longtemps Pont l'Abbé jouait en D4, Penmarc'h en D3, le TGV avait une bonne équipe, tout comme Quimperlé. Aujourd'hui, il reste seulement Concarneau. C'est malheureux! J'espère que ça repartira!". Présent au dernier tournoi challenge U13 Foot Indoor, à Ergué-Gabéric, aux fêtes de Noël, il se disait ému par les jeunes de Plounévezel. " Je me retrouve en eux, gamin, avec Châteauneuf. On avait le même plaisir. sans complexe face aux plus grosses équipes. J'aime leur comportement". Raymond Keruzoré restera toujours un esthète du jeu. Sa décision d'arrêter le métier d'entraîneur est venue d'une blessure à la cheville. " J'ai eu un problème à une cheville. Je ne pouvais plus courir, ni frapper la balle. Je ne pouvais pas concevoir le métier d'entraîneur sans montrer aux joueurs, faire le geste, être au milieu d'eux, animer les séances. Mon corps me lâchait! C'était fini!". Ultime cartouche lancée, à Carhaix, mais l'année se conclura par une descente des DC en PH en 1998/1999.
15 ans après, le retraité des terrains, installé à Thorigné dans la banlieue Rennaise, ne perd pas pied avec le football. Acquéreur depuis quelques mois, d'une maison sur Concarneau, il revient avec plus de fréquence dans son Finistère-Sud. La passion toujours chevillée au corps, une flamme qui ne l'a jamais quitté depuis sa tendre enfance. Le farfadet de Châteauneuf du Faou a illuminé plein de souvenirs pour des générations de Breton sur plusieurs décennies. Le nom Keru est resté - atemporel et intemporel - un hommage unanime du football Breton qui s'est reconnu envers un joueur et homme loyal (pas un carton jaune, ni rouge dans sa carrière), franc, têtu, intelligent et fin technicien.
Christophe Marchand