Le 25/10/2017

La préparation mentale, un sujet encore caché dans le football

Avouer ses carences ou ses difficultés afin de les surmonter demande un acte personnel de courage, de lucidité et de bienvieillance. En individuel, cet acte est souvent révêlé à la lumière et exprimé car il représente un cap passé très important. Des tennismans aussi célèbres que Yannick Noah, qui révélait dans son livre " secrets", qu'il passait 1h30 tous les matins à la méditation durant sa carrière ou Roger Federer, Novak Djokovic à des séances quotidiennes de sophrologie. Pour le joueur suisse, la transformation s'est avérée spectaculaire. Quand on regarde sa grande nervosité au début de sa carrière et sa zenitude, son relâchement dans le geste et sa concentration extrême sur les courts aujourd'hui, on mesure l'immense travail personnel accompli. En sport collectif, face au regard de l'autre, cette démarche est encore taboue, secrète et cachée dans l'intimité d'un vestiaire. Ce lundi soir, au Juvénat à Châteaulin, Cécile Traverse, titulaire d'un doctorat de STAPS, a donné une conférence de haut-niveau, à 80 éducateurs de football de l'AEF (association des éducateurs du Finistère), présidé par le Callacois, Pascal Razer, en s'ouvrant sur son histoire personnelle pour conclure sur une utilité pour le football amateur. Extraits choisis.

Cécile Traverse a donné une intervention de haut-niveau, ce lundi soir, au Juvénat, à Châteaulin.

" Je suis née dans une terre de rugby avec un père adepte de ce sport. Je suis tombée amoureuse du football. Je l'ai vu comme une danse. C'est inexplicable comme sentiment. Pourquoi ça m'a autant attiré? J'ai du accepter cette inconnue dans ma vie. Le football m'a donné beaucoup de bonheur dans ma vie", débute Cécile Traverse,  ancienne joueuse de tennis de très bon niveau. En ouvrant cette boîte de Pandhore avec le ballon rond, elle a entamé son engrenage de départ: la passion pour un sport, décrit comme un art à ses yeux. A travers 10 ans d'études poussées, elle a poursuivi jusqu'à faire une étude comparative entre le football et le tennis, en décrochant un doctorant de STAPS ( " Je suis une enfant du STAPS, spécialisée dans un module psychologique, science de la motivation"). 

Dans un monde de la préparation mentale ouvert au charlatanisme, ou aux prétendus savants, Cécile Travers met en garde face à des personnes non formées. " J'ai travaillé à l'AS Saint-Etienne. Quand Elie Baup m'a confié son intérêt mais de son mauvais retour d'expérience sur la préparation mentale, je l'ai parfaitement compris. Le drame dans cet aspect est de le confier à des beaux parleurs, sans formation. Quand quelqu'un se dit préparateur mental, la première question a posé, n'est pas de le croire, mais de lui demander ses diplômes. Tout le monde peut s'improviser préparateur mental. Il y'a une forme de nébuleuse".

D'entrée, elle met ses principes en jeu, au Juvénat, à Châteaulin, en précisant sa méthode n'est pas la méthode. " Je ne suis pas pour le tout psychologique mais occulter ce versant de la performance est fixer une limite. L'expérience peut y arriver naturellement mais le temps à le travailler est aussi une ligne d'arrivée. Un athlète sera à la recherche du "Flow", ce moment de fuidité appelé aussi état de grâce avec une optimisation du geste et de la performance. Un joueur comme le gardien, Yohan Thuram au Havre y arrive très bien. Une athlète comme Marie-José Pérec raconte dans son livre qu'elle n'a touché ce "flow" dans sa carrière qu'une seule fois".

En vient une part de la compréhension de la préparation mentale avec la recherche des cinq fondements ou piliers dit les habiletés mentales: la gestion des émotions, la motivation, l'attention et la concentration, l'estime de soi et la confiance en soi et l'activation. " J'entends beaucoup d'entraîneurs professionnels dire que si mes joueurs ne sont pas motivés, ils ne comprennent plus rien. Ce n'est pas aussi simple. J'organise mes interventions autour de trois étapes: la définition, l'introspection et l'acquision d'outils (discours, mot ressources, relaxation, lecture, écriture avec une préférence pour les deux derniers).

En parlant nommément ou indirectement d'athlètes connus professionnels, Cécile Traverse soulève la complexité de l'attente des autres. Entre un milieu en attente d'une performance et un sportif parfois cloisonné entre sa volonté de bien faire mais l'impossibilé du laisser-aller. " En France, nous sommes très en retard. A la coupe du monde, au Brésil, seulement trois nations sur les 32 n'avaient pas de préparateur mental. L'équipe de France en faisait partie. Une étude de la FIFA sur 650 joueurs de haut-niveau démontraient que 38% souffraient de dépression lourde à l'issue de leur carrière. Dans la vie civile, 17 à 18% souffrent des mêmes maux. Beaucoup de joueurs professionnels sont victime d'insomnie. Ils n'arrivent pas à dormir la veille d'un match, ni se libérer de la tension d'un match. 2 jours/7 sans sommeil, c'est une pathologie lourde. Les joueurs de football sont très exposés car ils ont une moyenne de 4 à 6 ans de contrat. La pression financière est énorme en un laps de temps très court".

Le mental devient une phrase fourre-tout et un tic de langage dans l'explication d'une synthèse de match. " Quand j'entends des coachs dire, nous avons perdu parce que nous n'avons pas de mental. Ou le mental fera la différence sur le match. Ca me contrarie pour être poli car l'important serait de se définir les moyens en interne pour le travailler, au même titre que la préparation physique. Mon rêve serait qu'un jour, dans un vestiaire professionnel, que cet aspect du football ne soit plus caché. Quand un joueur devant les autres dira qu'il lui faut un programme de concentration, je serai ravie. Le football est cruel car il condamne facilement un joueur qui évoque une fragilité. Au lieu de penser à sa conscience du métier, car il veut bien faire et rendre la confiance transmise, cette force est vue comme une faiblesse".

Les interactions entre son histoire personnelle (éducation, famille, expérience de la vie) et la préparation mentale en tant que sportif sont souvent liées. Les explications d'une barrière sportive s'obtiennent fréquemment par des barrières individuelles et des souffrances dans l'enfance. Aux questions des éducateurs du Finistère, à la fin de l'intervention, comme sur l'âge de la préparation mentale, Cécile Traverse conseille dès le plus tôt possible pour lever les leviers d'activation. " C'est une discipline neuve. On ne peut pas le nier. Plus on commence tôt, moins on perd du temps. Il ne faut pas avoir peur de se pencher vers ces versants secrets. Dans un centre de formation, je commence à travailler sur des jeunes de 12/13 ans. Tiger Woods, le golfeur américain, révèle dans son autobiographie, qu'il a commencé la préparation mentale à l'âge de 8 ans". Et cette interrogation soulevée par Guillaume Mulak de l'US Concarneau sur l'incapacité des techniciens de juger le mental d'un jeune doué. " Nous reconnaissons un manque dans nos compétences d'éducateurs sur ce ressort. On est capable de jauger le niveau d'un garçon par ses qualités de footballeur ou sa capacité morphologique. On voit de très bons garçons partir en centre de formation professionnel et nous revenir après. On savait leur mental mais cet aspect est sous-valorisé par les clubs. Nous sommes face à une totale inconnue"

La préparation mentale, cette idée neuve du sport, n'en est qu'à ses balbutiements en France. L'adapter au football amateur impose encore plus de contraintes. " Tout ce qui est fait dans le football professionnel peut l'être dans le football amateur. J'ai fait 5 ans de bénévolat dans un club amateur. Les contraintes sont essentiellement liées au temps, aux installations ou à l'argent. On peut axer le travail sur les catégories d'âge, employer des stagiaires en demande pour leur futur métier ou s'auto-former sur les aspects mentaux de la performance" .Pourtant, à l'image des préparateurs physiques, arrivée massivement dans les clubs professionnels dans les années 90, elle devra être pris très au sérieux pour aider les êtres humains dans leur sport et leur vie quotidienne. 

Christophe Marchand

Les conseils de lecture de son intervention:

Johnny Wilkinson, mémoire d'un perfectionniste (rugbyman, vainqueur de la coupe du monde avec l'Angleterre en 2003)
Marc Lévêque, psychologie du métier d'entraîneur ou l'art d'entraîner les sportifs

 

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