19/01/2021

Le 6ème tour de la discorde: entre colère et stupéfaction pour les clubs régionaux

Ubuesque, caricatural, scandaleux, irrespectueux: tous ces qualificatifs reviennent dans la parole de dirigeants ou d'entraîneurs finistériens, encore en lice, dans ce 6ème tour de la coupe de France. Alors que les petits poucets régionaux (R1/R2/R3) sont sensés, à ce stade du 6ème tour, vivre un moment d'allégresse, festif et joyeux, l'amertume et la déception pointent, en allant plus en profondeur, via cette reprise officielle de la coupe de France, partie amateur, du 30 et 31 janvier. Dans son entrée de communiqué: " La Fédération Française de Football est heureuse de confirmer la participation des clubs amateurs à la 104ème édition de la Coupe de France", la fédération française de football est clairement en porte à faux avec la base des clubs qualifiés à niveau région, dans le Finistère. Cette journée des dupes entre d'un côté, une extrême satisfaction, partie FFF, et de l'autre, une amertume ouverte chez les clubs régionaux encore en lice, traduit une fracture grandissante, même aberrante, en plein dans l'épidémie sanitaire.

L'AS Plobannalec-Lesconil jouera, son 6ème tour, à huis-clos le 31 janvier, face à Saint-Renan. Crédit photo: Pascal Priol

" Alors que nous sommes dans un contexte général d'entraînement interdisant tout contact, et une stricte règlementation de 6 par activité, jusqu'au 15 février inclus, on nous autorise à jouer un match dans 10 jours, avec contact et sans préparation au préalable. C'est un manque de respect total pour le football amateur", retient Bruno Dagorn, le co-président du Plougastel FC.

" Le monde amateur est sacrifié par rapport au monde professionnel. C'est une décision lamentable, suréaliste. On a l'impression d'être des cobayes. Nous n'avons pas de rentrées financières depuis trois mois, et nous devrons débourser plusieurs centaines d'euros à la charge du club recevant. Et encore, nous sommes dans une situation R3/R1 en recevant Liffré. Je n'imagine même pas la réaction de Bourg-Blanc, qui doit affronter une National avec Saint-Brieuc. On agit dans la précipitation. Nous sommes sacrifiés sur l'autel sportif et financier. Il y'a une absence de dialogue, on se retrouve seul, laissé à l'abandon par les instances du football. Presque ironiquement, on est même déçu de recevoir quand on voit le cahier des charges à mettre en place en 10 jours", explique Loïc Le Quintrec, le président de l'AL Coataudon, le petit poucet du Finistère (R3).

Sur la même ligne de crête, Patrice Arhan, le co-président de la GSY Bourg-Blanc (R2) crie aussi au scandale, très loin de l'esprit de cette coupe de France. " Il y'a plus urgent en cette situation actuelle que de faire un match de football. On est dans la pire situation, en Bretagne, car nous jouons en R2 et nous affrontons le Stade Briochin en National, qui n'a jamais coupé les entraînements et matchs. Etre au 6ème tour pour un club de R2, comme le nôtre, n'est jamais anticipé au départ. On devrait être en pleine magie de la coupe de France, comme l'an dernier face au CS Betton. Le match le plus important à gagner est contre le Covid-19. Celui contre Saint-Brieuc, je pense plus aux risques de blessures pour mes joueurs que l'issue sportive, que l'on connaît déjà. Ca fait mal. Au club, nous n'avons reçu aucun mail, aucun papier officiel pour dire que la coupe de France reprenait le 30 et 31 janvier. On l'apprend comme tout le monde, sur des sites de football ou sur le site de la FFF. Il n'y a même pas un point visio, en amont pour caler les choses ou pour demander notre avis".

A Plougastel FC, la joie de recevoir le Vannes OC (N2) a été douchée, avec cette annonce matinale. Bruno Dagorn, le co-président, est même remonté contre cette décision unilatérale. Comme ses collègues de Coataudon ou Bourg-Blanc, il confirme n'avoir reçu en interne aucun document officiel de la FFF. " On est dans du "foutage" de gueule, le plus complet. On est en plein couvre-feu général avec une interdiction de déplacement à 18h pour limiter la propagation du virus, et on nous impose de jouer un match de football dans 10 jours. Le football amateur, ça compte visiblement peu. Qui paie l'arbitrage, le délégué, le médecin que nous devons trouver? Au bas mot, j'avais tablé en temps normal sur des rentrées entre 3.000 et 5.000 euros pour le club pour la réception de Vannes OC. Là, on ne va pas gagner un centime, mais on va très certainement en perdre. Nous n'avons aucune rentrée depuis deux mois, nous avons deux salariés au club, et des contrats civiques. Il faut être clair, dès le départ, on ne sortira pas un centime  des caisses du club pour ce match. Nous n'avons pas de recette, qu'on ne nous impose pas des dépenses. Sportivement, on va le jouer pour les joueurs, malgré les quatre divisions d'écart. On solde cette affaire-là pour de bon et nous laisserons après jouer les footballeurs professionnels entre eux. C'est un coup dans le vide. Nous avons 10 jours pour tout préparer. C'est un manque de respect total pour le football amateur".

Président de l'AS Plobannalec-Lesconil, Benoît Le Moigne tranche avec ses homologues mais comprend aussi parfaitement leur frustration face à des équipes bien plus huppées. " Ca reprend, c'est du positif même si ça entraîne des complications. Nous sommes content de pouvoir jouer. Mëme si ce n'est pas tout le club, mais 20 à 25 joueurs senior concernés pour le moment. La coupe de France est l'ADN de notre club. Nous avons 10 jours pour tout mettre en place pour être raccord avec le protocole. On est déjà dedans. On réfléchit à des solutions pour faire vivre le match à nos supporters. Avec l'EA Saint-Renan, nous sommes sur les mêmes contraintes, on se battra avec nos armes. Les joueurs seront prêts à relever le défi. Je comprends tout à fait la réaction des collègues, qui affrontent des équipes niveau National. C'est loin d'être parfait comme situation, mais notre chance à Plobannalec-Lesconil est d'avoir plein de bénévoles pour être prêt dans les temps"

Si la colère est clairement perceptible dans les dirigeants des clubs de ligue finistériens qualifiés, elle l'est aussi chez les entraîneurs. A Plobannalec-Lesconil, Julien Rozec reprend aussi la même pensée. " Je ne comprends pas cette décision hâtive. Elle est incohérante et précipitée. Est-ce qu'il y'aura une dérogation spéciale pour nous permettre de pouvoir nous entraîner après 18h? Si nous ne pouvons pas le faire, on ira vers des entraînements comme Milizac, à 6h15 du matin. Quelle cohérance? Je me mets à la place d'un restaurateur, d'un patron de bar ou d'une station de ski qui ne peuvent pas reprendre leurs activités, quand ils vont apprendre qu'un match de football amateur peut se disputer. La cohérance aurait voulu que l'ordre soit clairement inversé. Que nous reprenions les derniers par rapport à eux beaucoup plus impactés. Qui va payer? Parce qu'en plus des arbitres, des délégués, le club doit aussi trouver un médecin pour le match. On jouera ce 6ème tour face à l'EA Saint-Renan. Comme nous sommes au même niveau en R1, il y'a une égalité de chances, mais je me mets aussi dans la peau de l'entraîneur de Bourg-Blanc, je ne sais pas comment je le prendrai. Sûrement plus mal"

Prenant la balle au bond, Eric Hernandez, l'entraîneur de la GSY Bourg-Blanc, est encore abasourdi par la soudainété de la décision. " Une claire impression d'être pris en otage. On tombe des nus. Nous avons respecté tout le protocole sanitaire, en place, avec même des séances de cardio en visio. En tant qu'entraîneur, je suis dégoûté. On se mettra derrière la décision du bureau. J'ai quelques joueurs du groupe de la première, qui ne sont pas entraînés du tout. Je me place aussi derrière la décision des joueurs. Je serai à fond derrière eux et les accompagnerai au maximum de leur décision face à ce match. S'il faut s'entraîner tous les jours, on le fera car on est des compétiteurs. La mission est impossible face à Saint-Brieuc. En coupe, tout est possible, mais là, on ne parle même de montagnes à soulever. On peut prendre 20 à 25 buts et perdre trois à quatre joueurs. Pourtant ce match, tous les jours, j'ai envie de le jouer dans des conditions normales"

Qualifié historique au 6ème tour, Plougastel FC avec Tanguy Chalm, est passé dans la versatilité des sentiments, après cette annonce matinale. " Les joueurs sont contents parce qu'ils peuvent jouer, moins les dirigeants, qui sont très en colère. Sincèrement, combien d'argent on va perdre? Nous sommes dans une supercherie. Nous n'aurons aucun retour, dans des délais compliqués. Ce n'est pas l'esprit de la coupe. C'est presque incroyable, nous sommes passés d'un couvre-feu généralisé à 18h, la semaine dernière, à une autorisation de jouer un match de football avec contact, la semaine suivante. Ce n'est pas un cadeau pour les clubs purement amateurs. Déjà, on nous prive du rêve de pouvoir affronter un club professionnel avec un chemin parallèle jusqu'en 16ème finale mais on nous met encore une charge supplémentaire avec 10 jours pour préparer. Est-ce que nous aurons une dérogation post 18h? On n'en sait rien pour l'instant. Qu'est ce que risque les joueurs après 18h, en cas de contrôle? Après, nous mettrons tout en place pour jouer ce match, quitte à nous entraîner à 6h du matin, en semaine".

Potentiellement bien accueilli par des clubs de standing supplémentaires en National, National 2, National 3, en quête de liquidités financières et d'aventures sportives, ce 6ème tour dans 10 jours top chrono, apparaît plus pour un fardeau pour les clubs strictement amateurs en R1/R2/R3. Quite à occulter complètement la magie de la fête, la communion entre son club de football et une commune, et à rêver en grand l'espace d'une journée inoubliable.

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