Comment on fait pour durer en course à pied ? Pour passer en travers des blessures et pépins physiques ? Quel est le secret de la longévité ? L'élixir de jouvence, ce sont les vétérans du peloton qui le détiennent. Eh ! Bien ! oui ! Qui de mieux placés que toutes celles et tous ceux qu'on baptise aujourd'hui pudiquement Master 7, 8, 9 et 10 pour en parler ? Muni de mon précieux carnet de notes et de ma délicatesse coutumière, je m'en suis allé les interroger à Coray. Non pas que les vétérans y foisonnent. C'est juste qu'en ce samedi 24 juin baigné par un soleil généreux se jouait la festive course pédestre organisée par l'une de mes assos préférées : celle de Courir à Coray. Je pensais la jouer discrètement, dissimulé sous mon éternelle casquette mais sur la ligne d'arrivée, Jean-Luc Gestin a vite fait de me démasquer et d'alerter toutes mes victimes potentielles. "Voici Marc Férec l'envoyé spécial de Newsouest ! Je vous recommande chaudement son dernier papier sur son rendez-vous manqué avec Huguette (1)."
Légende: La course à pied, ça conserve. Concilier le sport et la longévité, paroles d'expert(e)s. Crédit photos: Daniel Roignant et DR
En attendant Huguette qui n'en était encore qu'à son premier tour de piste, j'ai jeté mon dévolu sur Patrick Bargain, imminent sexagénaire . Patrick, c'est ce qu'on appelle un bon client. C'est fou mais quand je lui ai posé la question, on aurait pu croire qu'il avait bossé le sujet. Et si c'est un bon client, c'est que ses réponses détonnent toujours. Un savant mélange d'humour et de bon sens.
"Le secret de la longévité ? Il faut avoir démarré tard, 30 ans dans mon cas. Ne pas avoir joué au foot, le sport le plus traumatisant qui soit. Pour le reste, ne pas brûler ses cartouches trop vite. C'est comme pour une voiture, si tu l'uses prématurément, par la suite elle ne répond plus..." C'est qu'il sait se ménager notre agriculteur raisonné. Toujours épargné par les blessures. Toujours vraiment ? "Non, j'ai des soucis de sciatique mais la course à pied n'a rien à voir là dedans. Ce sont les secousses que je subis sur mon tracteur qui sont en cause..."
Les pépins et les blessures, Françoise André-Jehanno, 60 ans si j'ai bien compté ("6x5x2" m'a-t-elle annoncé comme si elle avait deviné mes lacunes rédhibitoires en calcul mental), a appris à s'en accommoder. Mieux ! Elle en tire parti. "Les blessures, j'en ai eu mon lot mais je les ai toujours prises comme une chance. Elles m'ont permis de me reposer et de repartir de plus belle."
Je ne sais pas si à Coray Françoise relevait de blessure mais la fringante sexagénaire s'est offert le luxe de remporter le 13 kilomètres avec... 12 minutes d'avance sur sa dauphine ! "L'âge au fond n'a pas d'importance, ça se joue dans la tête, dans l'envie... L'envie d'avoir envie comme dirait Johnny", a t-elle ajouté en se marrant.
"Le plaisir de courir, ça conserve", c'est exactement ce que m'a confié Denis, le papa d'Erwan Richard qui a transmis à son fiston son amour pour la course pédestre. "Si tu ne cours que pour la gagne,c'est bien simple : tu ne dures pas! Et puis, avant tout, il faut savoir écouter son corps."
Jo Kervennic, une sommité dans le milieu (il fut longtemps recordman de Bretagne du 3000 mètres steeple en 9' 06) 75 ans dont 50 de course à pied nous a rejoints dans la conversation. "J'avais 43 ans quand j'ai connu ma première blessure. Le secret , Un entraînement prudent et régulier." La voie (et la voie) de la sagesse, le vieux Jo !
La célèbre famille Autexier longeant prudemment la buvette passait par là : je n'ai pas résisté à l'envie d'aller taquiner Chrystelle (avec un y), la maman. Une jeunette je le sais mais j'avais imaginé qu'elle courait depuis belle lurette. Elle a botté en touche. Elle a refilé le bébé à son mari Erwan, une trentaine d'années d'ancienneté sur le circuit. Pour résumer le sentiment de Madame Autexier, "dur au mal et rarement blessé." "Tout juste une tendinite de temps à autre", a fini par avouer le principal intéressé sous l'oeil amusé de sa fille Maiwenn ("avec 2 N a précisé Chrystelle, très à cheval comme chacun sait, sur l'orthographe). Avec tout ça, je n'avais toujours pas percé à jour le secret de la longévité d'Erwan. "Du jour où j'ai adopté des semelles orthopédiques, tous mes petits pépins ont disparu". Les semelles orthopédiques comme élixir de jouvence, il fallait oser.
Pas le temps d'approfondir le sujet ! Voilà que Huguette de Courir à Coray se pointait sur la ligne d'arrivée littéralement portée par un Jean-Luc Gestin au meilleur de sa forme. Et Huguette manifestement en avait encore sous la semelle (pas orthopédique, celle-là). Elle m'a accueilli gentiment et on a causé comme deux vieux amis. On a bien ri aussi. J'avais oublié les questions que je voulais lui poser mais au fond ça m'était bien égal.
Rubrique Carte Blanche à Marc Férec
(1). Lire l'épisode précédent "Au trail de Saint-Yvi, Huguette m'a posé un lapin" sur le site.