Quand sur les chemins creux le dénivelé s'accentue et que la grimpette se prolonge, quand le coeur palpite et que ça pique dans les cuisses, quelle allure doit utiliser le traileur? La course ou la marche ? Un petit malin croisé sur le Net prétendait que la tactique à privilégier, c'était de partir pépère mais de ne jamais marcher pas même dans les montées les plus ardues : selon lui, la meilleure façon de récupérer tous les impudents partis sur les chapeaux de roue, tous ceux qui ne manquent pas de de s'écrouler sitôt venue la première bosse du circuit. Partir à fond pour mieux musarder dans les montées ou courir à son petit rythme, sans à coup et s'offrir toutes les grimpettes ?
Légende: Marcher ou courir dans les bosses, il faut choisir, deux camps s'affrontent, le tout est être à l'écoute de ses sensations du moment. Crédit photo: DR
A Telgruc-sur-Mer, sur le circuit des Radieuses, je suis allé enquêter auprès des traileurs et traileuses histoire de rejouer l'histoire du lièvre et de la tortue. Cours ou crève ! Je l'avoue volontiers, dans mon esprit, le coureur digne de ce nom ne posait jamais pied à terre. S'il faut marcher, autant abandonner ! Bon nombre de coureurs et de coureuses m'ont emboîté le pas. Leur digne représentante ? Eliane Brélivet la présidente de Courir à Châteaulin venue en spectatrice sur le circuit. "Moi, je ne marche jamais. Si tu marches, ce n'est plus de la course à pied", m'a-t-elle lancé bravement. Bien dit ! Et si Eliane ne vous a pas convaincus, la parole est donnée à un autre expert, une pointure : Fabrice Gourmelen lui-même, le local de l'étape. "Marcher dans les côtes, ça ne m'est jamais arrivé mais il faut dire que je ne suis pas un pur spécialiste de trail et que le dénivelé sur les trails finistériens n'est pas si dur." Une restriction d'importance !
Histoire d'approfondir l'enquête et d'en avoir le coeur net, je me suis alors tourné vers l'un de mes interlocuteurs privilégiés,un traileur venu de la course sur route et du cross, le Douarneniste Hervé Tymen. " Moi, je marche. Contre mon gré mais je marche. Et de toute façon, en trail, dès que tu dépasses 3 ou 4 heures de course, si tu ne marches pas, tu crèves ! Et dans les ultra trails comme celui du Mont Blanc, c'est vrai aussi pour les meilleurs : ils marchent... Moi, au début, j'ai eu beaucoup de mal à m'y faire mais maintenant la technique que j'utilise, c'est le mimétisme. Je suis un petit groupe de coureurs : quand ils marchent, je marche, quand ils courent, je cours... C'est plus efficace comme ça. En gros, quand le dénivelé est sévère, tout le monde marche et les meilleurs, ce sont ceux qui marchent les derniers..."
Il a fallu que je batte mes préjugés en brèche : courir toujours même dans les côtes, ça ne marche pas ! Ce que m'a confirmé la Stadiste Rennaise Amélie Le Bris, victime d'une erreur tactique au trail d'Huelgoat. "Je suis partie beaucoup trop vite et je l'ai payée cher... Marcher, je n'ai fait que cela par la suite. Aujourd'hui à Telgruc, j'ai été beaucoup plus maligne. Je suis partie lentement..."
Pour éviter ces erreurs de jeunesse, Hervé Tymen a la solution. "L'idéal, c'est de bien connaître le parcours. Ca change tout !" il a de l'expérience Hervé et on veut bien le croire. L'expérience, c'est aussi le secret de la réussite d'Alexandra Rannou qui nous livre la clé des courses de côte. "Moi, j'utilise la technique des petits pas dans les montées." Fallait-il y penser ! La technique de Clara Saliou, l'une des initiatrices du futur trail du Haut Pays Bigouden est plus chaotique. "Dans les montées, j'essaie de courir. Si mon souffle s'emballe, je cesse de courir et je marche vite. Quand le souffle redevient normal, je recours..." Arythmique !
Pour résumer l'affaire, tournons nous vers un autre éminent spécialiste, Alexandre Audo, le fameux traileur de l'Elan du Porzay ? "La question n'est pas nulle ! (Merci Alex). Beaucoup pensent que marcher, c'est perdre du temps ou perdre le temps de l'objectif fixé... Mais moi, je préfère marcher maintenant lors de grosses montées. Il vaut mieux récupérer que de s'épuiser. Et puis, tu relances mieux après. Lors de gros dénivelés, je prends ce temps pour m'alimenter, liquide et solide. C'est du temps gagné !" Depuis qu'Alex m'a dit cela, je ne cours plus, je marche...
Rubrique Carte Blanche à Marc Férec