Luc Tréguer: " Il faut que la Fédération Française de Football devienne une institution démocratique"
Le cataclysme médiatique se répercutant sur les propos de Noël Le Graët, en début janvier, a provoqué un séisme à la fédération française de football, ébranlé dans son fonctionnement courant. La mise en retrait volontaire de son président, Noël Le Graët, président de la 3F, depuis 12 ans, marque potentiellement la fin d'une époque. Forcément, à la croisée des chemins, sur un style de fonctionnement, la fédération française de football apparaît sur une plaque mouvante. Reste à savoir comment et où elle se stabilisera, soit poursuivre sur un schéma similaire qui coupe clairement le football de base avec le sommet de sa pyramide, ou soit la pyramide est renversée avec le retour d'une vraie démocratie participative, qui commence à son échelon le plus bas, les clubs amateurs, pour élire ses plus hauts-représentants. Luc Tréguer, membre du district du Finistère, et président de la commission vie des clubs dans le département, connaît très bien le dossier et en a fait son cheval de bataille, depuis des années, constatant ainsi une deliquescence et un déraillement, au sein de la plus grande fédération sportive en France, avec ses 2 millions de licencié(e)s. Alors que le football amateur représente 99,9% des licenciés, qui ancre le poids de la FFF, en faisant même un Etat dans l'Etat, les club amateurs n'ont aucun droit de citer dans l'élection du COMEX ( comité exécutif de la fédération, les vrais décideurs de la politique générale), ni dans l'élection de son ou sa président(e). Rappelant ainsi à ce moment précis, la phrase de l'Abbé Siéyès, sur le tiers-état, en 1789. " Qu'est ce que le tiers état? Tout. Qu'a t'il été jusqu'à présent dans l'ordre politique? Rien. Que demande-il? A être quelque chose", pouvant facilement être remis à l'ordre du jour et transposable avec les clubs amateurs. " Qu'est ce que les clubs amateurs? Tout. Qu'ont t'il été jusqu'à présent au sommet de la pyramide de la FFF? Rien. Que demande-il? A être quelque chose".
Légende: Luc Tréguer ( au second plan derrière le président de la ligue de Bretagne, Jean-Claude Hillion), membre de l'AFFA ( association française de football amateur), et membre du comité directeur du district du Finistère, s'exprime à coeur ouvert sur sa réalité perçu de la FFF.
La lettre complète de Luc Tréguer:
La loi visant à démocratiser le sport en France a été votée à l'assemblée nationale en mars 2022. Cette loi consacre un article qui concerne la gouvernance des fédérations sportives et ouvre le droit de vote à tous les clubs affiliés. Sa mise en application sera effective au 1 er janvier 2024. Cette disposition est demandée depuis 2012 par l'association française de football amateur (AFFA) qui par la voix de son président, Eric Thomas et de ses membres n'a eu de cesse de la porter en interpelant des députés, des ministres et jusqu'au président de la république.
Un voeu dans ce sens a été présenté aux clubs en 2017 lors d'assemblées générales de district du Finistère et de ligue de Bretagne et adopté à une très large majorité mais a toujours été bloqué par le Comex (comité exécutif) qui l’a mis en attente depuis « compte tenu de l’imminence des dispositions légales à paraître portant sur la gouvernance des fédérations ».
Pourquoi avons-nous défendu la possibilité pour les clubs de voter directement pour le Comex de la FFF et donc pour son ou sa président(e)?
La réponse est simple:
Actuellement, seuls les 44 clubs professionnels peuvent voter directement alors que le reste des 14000 clubs amateurs représentant 2 millions de licenciés n'ont pas droit au chapitre. Les clubs professionnels pèsent pour 37% des voix et les clubs amateurs 63% des voix détenues par des " grands électeurs" que sont les présidents de ligue, de district et les délégués aux assemblées fédérales.
Pourquoi avons-nous réclamé que les clubs amateurs puissent voter directement plutôt qu'en étant représentés par ces "grands électeurs"?
Là encore, la réponse est simple:
C'est parce que les présidents de ligue et de district ainsi que les délégués dans leur immense majorité n'ont jamais pris le soin de demander l'avis des clubs sur tel ou tel candidat avant de voter. Ce que nous voulons, c’est que les candidats présentent leur programme aux clubs qui décideront eux-mêmes ce qu’ils souhaitent et non pas que quelques-uns décident pour le plus grand nombre. En un mot, nous demandons la démocratie.
Nous demandons également qu’un budget de campagne soit attribué à tous les candidats avec obligation de rendre des comptes sur chaque euro dépensé à l’issue du scrutin de façon à ce que chacun ait les mêmes chances au départ.
Nous avons pour cela quelques pistes d’économies très faciles à réaliser.
Comme par exemple, en arrêtant d’inviter certaines personnes privilégiées dont des grands électeurs pour un coût exorbitant lors des phases finales de coupe du monde, fait d’ailleurs dénoncé par la cour des comptes.
Mais il n'y a pas qu'au plus haut niveau que des économies sont envisageables. Ainsi la ligue de Bretagne de football, à l'occasion de l'assemblée fédérale de Nice en juin dernier où étaient convoqués neuf délégués et leurs suppléants est arrivée avec une délégation de 32 personnes avec conjointes et conjoints qu'il a bien fallu occuper pendant tout un week-end.
Au programme: excursions sur Nice en bus grand tourisme, cocktail dinatoire au château de Crémat, visite du musée océanographique de Monaco, déjeuner au casino Barrière de Menton, dîner de gala au palais de la Méditerranée.
Au passage, nous aimerions bien connaître le coût de l’escapade !
Maintenant, pour tourner le dos à ces pratiques, il faut changer la gouvernance et pour cela tout faire pour que les prochaines élections se déroulent en toute transparence.
C'est l'enjeu majeur de cette sortie de crise
Concernant l'élection du Comex et du président de la fédération, la loi votée en mars dit ceci :
1° Que l'assemblée générale élective est composée au minimum du président ou du dirigeant, ou de l'un de ses membres dûment mandaté en cas d'empêchement de ce dernier, de chaque membre de ladite fédération représentant au minimum 50 % du collège électoral et au minimum 50 % des voix de chaque scrutin à partir de l'année 2024 ;
Cette disposition pose beaucoup de questions
Si il est acquis que tous les clubs voteront, il faut que l'on sache comment seront répartis ces 50% minimum. Est ce qu'il s'agit uniquement des clubs amateurs? Les clubs professionnels sont-ils concernés par ces 50% minimum?
La loi dit 50% minimum, avec l’AFFA, nous demandons que cela soit plus pour les clubs, rien ne l'interdit.
Comment seront comptabilisées les voix? Est-ce qu'un club vaut une voix, est ce que cela dépend du nombre de licenciés?
Quid des 50% restants?
Etc…
La FFF a adressé un courrier au ministère des sports avec 39 questions à ce sujet, quelles sont ces questions?
Avec l’AFFA, nous demandons qu'elles soient rendues publiques ainsi que les réponses à venir du ministère. Un groupe de travail a été créé par la FFF et le district du Finistère, à l'origine du voeu de 2017, a demandé en mai 2022 que ce voeu soit réactivé et qu'un représentant de son comité directeur intègre le groupe de travail.
Jusqu'à aujourd'hui, pas de réponse mais cela n'est pas étonnant, c'est aussi une grande tradition dans les instances. Vous écrivez, mais on ne vous répond pas.
D'ores et déjà, avec l’AFFA, nous exigeons que la plus grande transparence soit faite sur les modalités du prochain vote et la publication sur le site officiel de la FFF des Procès-verbaux des réunions du groupe de travail la semaine suivant la tenue de chacune d'entre elles.
Si c'est le Comex actuel qui s'occupe exclusivement des modalités du scrutin nous craignons que rien ne change alors que c’est absolument nécessaire.
Pour comprendre pourquoi le changement est indispensable, il suffit par exemple de se rappeler des 2 vœux votés à l'unanimité en 2019 lors de l’AG du district Finistère portant sur les indemnités de formation et les dotations de la coupe de France pour lesquels certains dirigeants de la ligue de Bretagne ont fait obstacle à leur présentation et à leur adoption par les clubs en Assemblée générale de ligue. Depuis rien n'a bougé...
Nous entendons beaucoup de personnalités s’exprimer y compris pour certaines en dehors du monde du football, avançant déjà des noms pour remplacer Noël Le Graet. C’est vite oublier que c’est aux clubs de choisir son successeur et surtout de voter pour le programme qui leur assurera le changement de cette gouvernance à bout de souffle. Quoiqu’il arrive, une chose est certaine : nous ne laisserons pas le Comex déposséder les 14000 clubs amateurs de leur droit de citoyens du football.
Luc Tréguer
Membre de l’AFFA (association française de football amateur)
Par ailleurs, Membre du comité directeur du district de football du Finistère, Président de la commission vie des clubs.