Moi, je suis sur la même longueur d'onde que mon Golden retriever : j'aime bien la mer mais à condition de ne jamais perdre de vue le rivage. Alors, c'est avec une bonne dose d'excitation, un soupçon d'incrédulité et un zeste d'effroi que je suis allé couvrir pour Newsouest, le sport le plus diamétralement opposé à mes préférences terre à terre : la natation en eau libre. Il faut dire (les Nageurs Bigoudens vont se dresser sur leurs ergots en lisant ces quelques lignes) que j'ai été nourri comme toute ma génération aux Dents de La Mer. Et pour tout avouer, rien que l'idée qu'un phoque mal intentionné vienne me chatouiller la pointe des pieds me donne des sueurs froides. Foulant au pied (marin) mes stupides préjugés , les Nageurs Bigoudens proposaient, dimanche dernier, au départ de l'Ile Tudy dans le cadre de la Coupe de Bretagne en eau libre, 3 épreuves de natation : un 500 mètres, un 3 kilomètres et un 7,5 kilomètres. Je suis allé à la rencontre de ces nageurs extra-terrestres, histoire de scruter leurs pieds palmés et de me débarrasser de mes vieux démons.
Légende: À chacun sa coulée, à chacun son plaisir pour cette première édition des Balades Bigoudènds, au Maracana de l'île-Tudy.
Comment ça se passe au large ? C'est grosso modo avec cette question faussement ouverte et anodine que j'ai abordé mes interlocuteurs. Beaucoup m'ont vu venir avec mes gros sabots. Le premier, Michel, un local, un pur produit de l'Ile Tudy s'est quasiment ouvertement moqué de moi. "Je n'ai pas vu de sirène ni de baleine. Seulement des bonnets, des bonnets blancs, des blancs bonnets..." A leur tour, les Pont-l'Abbistes Maxime et Lise sont rentrés dans le jeu. "J'ai vu deux poulpes et un gros poisson que j'ai essayé de suivre", a rigolé Maxime. Le gros poisson - mais je ne l'ai compris que bien plus tard - c'était évidemment Jérémy Stravius - un véritable extra terrestre celui-là, que notre Maxime a rapidement perdu de vue. "J'ai juste eu le temps de l'encourager et de lui donner deux ou trois conseils tactiques."
Des considérations tactiques dans un peloton de nageurs en eau libre ? Ce ne serait pas plutôt le physique qui prime, ce que m'ont confirmé Caroline et Romane les deux nageuses briochines. "Il y a des gens qui te prennent les pieds et on ne sait pas trop si c'est volontaire ou pas mais on ne se laisse pas faire. Nous aussi, on fait le ménage." "Moi, je n'ai pas connu ce problème, m'a confié Pauline la Douarneniste. J'ai fait la course derrière, toute seule. Et dans ces conditions, 7 kilomètres, c'est long !" Et la tactique là dedans ? "Eh ! bien ! m'a repris Michel de l'Ile Tudy, elle existe dans le choix des trajectoires. Il faut savoir faire confiance à l'autre, se mettre à l'abri derrière lui, exactement comme dans un peloton cycliste. C'est l'histoire du mouton de Panurge : s'il se plante, tu te plantes aussi..."
Entre le cycliste et le nageur en eau libre, la différence relève seulement du vocabulaire utilisé. Le premier suce les roues tandis que le second - comme me l'a joliment dit Pierre venu de l'Essonne, "se met dans les pieds."
Histoire de pieds encore avec Chantal de Ploneis, une nageuse aguerrie qui la veille encore en guise d'échauffement avait fait le tour du Coulinec à Douarnenez ("la plus belle baie du monde"). Eh ! Bien ! Croyez-moi ou pas : Chantal m'a confié avoir été victime d'hallucinations. "Je nageais au large et à un moment, j'ai cru que j'avais pied... " Hallucinée, Chantal ? "Mais non, c'est que par moment, on nage à fleur d'eau", m'a poétiquement soufflé Michel le local de l'étape. Y a-t-il d'ailleurs avantage à connaître le terrain - si on peut l'appeler ainsi - c'est la question que j'ai posé à un autre local, le fameux Maxime. "Evidemment que oui. L'avantage, c'est que je viens voir la mer tous les jours", a-t-il ironisé.
J'en avais presque oublié mes peurs primaires et c'est vers Jérémy Stravius, le formidable ambassadeur de cette formidable manifestation à vocation caritative que je me suis tourné une dernière fois pour chanter la mer, la mer toujours recommencée, celle qu'on voit danser le long des golfes clairs. "Je reviens de deux étapes à Nice. Eh bien ! je peux dire que dans le Finistère, elle est beaucoup plus claire." Un type bien sous tous rapports, ce Stravius !*
Rubrique Carte Blanche à Marc Férec